Stéphane Bourcieu, directeur de l’ESC Dijon Bourgogne, dans un article publié dans le Monde du 8 janvier fait une analyse brillante de l’échec du Rafale de Dassault au Brésil, après les échecs en Suisse, en Corée du sud et à Singapour.
Son analyse est sans appel, Dassault n’avait aucune chance dans cette compétition. Leur offre ne correspondait tout simplement pas au besoin, dont les critères clés étaient un avion basique pour un prix basique et un coût d’entretien minimum. Sur ce terrain de jeu, le Gripen de Saab était tout simplement imbattable.
L’analyse de Stéphane Bourcieu est simple : la stratégie de montée en gamme de Dassault sur le Rafale est tout simplement déconnectée des besoins du marché international.
Cette analyse ouvre trois réflexions :
1/Une réflexion sur le lien entre Commerce B2B et Monde
La question structurante pour vendre une affaire classique ou un méga-contrat est celle du terrain de jeu. Vous devez vous créer un terrain de jeu différenciant et faire partager ce terrain à votre client.
Dans le cas du Rafale au Brésil, l’échec du terrain de jeu est flagrant. Oui le terrain de jeu de Dassault est très différenciant « un avion quatre fois meilleur » a dit Olivier Dassault… sauf que le client a considéré que ce terrain de jeu n’était pas le bon. Le Brésil n’a aucun ennemi et n’a pas besoin du nec plus ultra des avions de combat pour surveiller ses frontières.
En quoi le Monde Dassault a produit cette erreur commerciale ? Leur Monde de la performance technique et de la montée en gamme ne peut tout simplement pas entendre le Monde du client. Preuve ? Après avoir dit « un avion quatre fois meilleur » Olivier Dassault a ajouté « la qualité a un prix », sous-entendu : le client n’a rien compris ! Facteur aggravant, ce Monde Dassault est renforcé par un Monde identique de nos hommes politiques et de nos leaders d’opinion, « la grandeur de la France » (bravo) … « mais à travers la performance technique et pas à travers la réussite commerciale » (pas bravo).
Pour les fanatiques de la notion de terrain de jeu, retenez que le terrain classique que l’industrie militaire américaine réussit très bien à influencer est « vous n’achetez pas une performance technique, vous achetez la protection d’Oncle Sam ». Réussite assurée pour tous les pays qui ne sont pas fâchés avec les États-Unis.
2/ Une réflexion sur le lien entre Stratégie et Monde
Votre Monde vous pousse souvent à faire de mauvais choix stratégiques en produisant une stratégie déconnectée de votre marché.
Dassault est « scotché » avec son avion dont personne n’a besoin dans le monde. Les petits pays sans risques ont besoin d’avions basiques, les pays à risques stratégiques ont besoin du parapluie américain.
Autrement dit, le Monde de Dassault les a empêchés d’entendre leur marché et d’en déduire que ce marché attendait d’abord un mono-réacteur de type Mirage 2000 modernisé.
Autre exemple emblématique Areva et son EPR. Formidable expertise technique, complètement à côté des attentes des pays nouveaux entrants sur le nucléaire.
3/ Comment sortir de l’engrenage qui fait que votre Monde vous empêche de comprendre vos clients pour en déduire des stratégies et des approches commerciales adaptées ?
Soyons clairs : c’est presque impossible sans être aidé. Votre Monde vous crée des prismes de lecture. Faites plutôt écouter vos clients (à l’occasion d’une affaire) ou votre marché (pour penser une stratégie) par des consultants extérieurs.
Mais la difficulté ne s’arrête pas là : celui qui porte une compréhension sans effet-prisme du client ou du marché ne va pas être entendu. On lui répondra « tu te trompes, ce qui nous a fait défaut sur le projet brésilien c’est un déficit de soutien politique ».
Conclusion : une réussite plus durable consiste à changer de Monde pour que ce nouveau Monde soit synchronisable avec celui des clients.
Bruno Jourdan
Merci pour votre analyse à partir de ma tribune. Très pertinente.
RépondreSupprimerStephan Bourcieu